RESPONSABILITÉ DU SYNDICAT EN CAS D'ACCIDENT
COUR DU QUÉBEC
«Division des petites créances»
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL
LOCALITÉ DE MONTRÉAL
«Chambre civile»
N° : 500-32-104425-071
DATE : 2 mars 2009
SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MICHEL A. PINSONNAULT, J.Q.C.
JEAN LAN
Demandeur
c.
SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES L’OASIS DU 3135-3155 ERNEST HEMINGWAY
Défendeur
JUGEMENT
[1] Le demandeur, Monsieur Jean Lan, est l’un des copropriétaires de l’immeuble en copropriété divise situé au […] à Ville St-Laurent. Le 15 janvier 2007, en sortant son automobile du garage souterrain de l’édifice, son véhicule a dérapé sur la pente enneigée de l’entrée de garage et percuté le cadre de la porte de garage.
[2] Il réclame du défendeur, le Syndicat des Copropriétaires L’Oasis du 3135-3155 Ernest Hemingway (le «Syndicat»), les dommages causés à son automobile, soit 1 880,18 $. M. Lan considère que le Syndicat a été négligent au niveau de l’entretien de l’entrée de garage en omettant de la déneiger et de la déglacer.
[3] Le 2 septembre 2008, jugement est rendu contre le Syndicat (le «Jugement») par le juge Sylvain Coutlée. Aux termes du Jugement, le juge Coutlée a condamné le Syndicat à payer au demandeur, la somme de 1 880,18 $ avec intérêts au taux de 5% l’an ainsi que l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de l’assignation et les dépens.
[4] Le 25 septembre 2008, le Syndicat dépose une requête en rétractation du Jugement qui est reçue par un juge de la Cour du Québec, le 25 novembre 2008.
[5] La réception de la requête en rétractation de jugement, le 25 novembre 2008, ne dispose pas de la demande du Syndicat d’être relevé de son défaut d’être présent à l’audience du 2 septembre 2008 et n’a qu’un effet suspensif sur le Jugement déjà rendu. Le juge ayant reçu la requête ne s’est pas prononcé sur le fond de la demande de rétractation (Chomedey Caterers Inc. c. Héritiers de feu Lionel J. Taylor [1972] C.A. 688).
[6] L’audition pour entendre tant la demande de rétractation que le fonds du litige a été fixée au le 3 novembre 2008 (article 990 du Code de procédure civile).
[7] À cet égard, le Tribunal comprend que le demandeur, M. Lan, a assigné le Syndicat en le décrivant incorrectement Syndicat des Copropriétaires L’Oasis du 3135-3155 Ernest Hemingway inc. et en l’envoyant à l’attention de Oasis N.S.L. inc., l’ancien administrateur du Syndicat et ce, à l’adresse de cette dernière située sur le Boulevard Henri-Bourassa Ouest. En cours d’audience, le juge Coutlée a suspendu celle-ci réalisant que les bonnes personnes n’avaient pas été convoquées en défense. Le juge Coutlée est cependant demeuré saisi du dossier et l’audience fut continuée au 2 septembre 2008. À cette date, aucune personne n’était présente pour représenter le Syndicat et faute de toute preuve en défense, le juge Coutlée a rendu le Jugement qui fait maintenant l’objet de la présente requête en rétractation.
[8] Les trois administrateurs présents à l’audience ont témoigné sur les motifs au soutien de la demande en rétractation du Syndicat. M. Lan en a fait de même, prétendant qu’ils étaient au courant de l’audience du 2 septembre.
[9] Face à des témoignages contradictoires, les explications fournies par les trois représentants du Syndicat ont satisfait le Tribunal que les conditions prévues à l’article 989 du Code de procédure civile ont été rencontrées car ils n’ont jamais eu connaissance de l’audience du 2 septembre avant que le Jugement ne soit rendu.
[10] Il y a donc lieu d’accueillir la requête en rétractation du Jugement lequel est annulé à toutes fins que de droit.
[11] Sur le mérite du présent dossier, le Tribunal se prononce comme suit après avoir entendu les parties aux présentes.
LES FAITS
[12] Le demandeur, M. Lan, témoigne que le 15 janvier 2007, une tempête de neige sévit. Sa voiture se trouve dans le garage intérieur au sous-sol de l’édifice et il veut sortir.
[13] Il se rend à sa voiture et entame sa sortie vers l’extérieur. Il actionne la porte de garage mécanique. Selon lui, à ce moment, il n’y avait pas de vents violents et la neige avait cessé de tomber. Il y avait un peu de neige sur la pente qui forme l’entrée de garage.
[14] Il amorce sa sortie du garage et introduit sa voiture sur la pente enneigée. À mi-chemin, il aperçoit une automobile de couleur rouge qui s’apprête à descendre au même endroit pour entrer dans le stationnement. Comme la largeur de l’entrée et de la porte de garage ne permet pas à deux automobiles de se croiser, M. Lan immobilise sa voiture au milieu de la pente.
[15] Au haut de la pente, la voiture rouge s’immobilise temporairement puis, recule pour permettre à M. Lan de sortir.
[16] Lorsque la voiture rouge se retire, M. Lan tente de reprendre sa montée mais sans succès, son automobile se met à déraper vers l’une des deux parois en ciment. M. Lan décide alors de reculer vers l’intérieur pour pouvoir reprendre son élan. En ce faisant, l’arrière de sa voiture qui n’est plus parallèle aux deux murs, glisse et percute le cadre de la porte de garage, d’où les dommages présentement réclamés.
[17] M. Lan reproche au Syndicat d’avoir été négligent dans le déneigement et le déglaçage de l’entrée de garage. Selon lui, on n’avait pas répandu de sel sur la pente enneigée. Il le tient responsable des dommages subis.
[18] En défense, la personne qui conduisait l’automobile rouge au moment de l’incident, M. Marco Basciu, a témoigné pour expliquer que le 15 janvier 2007, il neigeait abondamment, le rapport de données horaires pour le 15 janvier 2007 émis par Environnement Canada (D-5) qu’il a produit, en fait foi quant à la durée des précipitations.
[19] M. Basciu est sorti du garage intérieur un peu plus tôt, la pente venait d’être déneigée par l’entrepreneur 9030-6812 Québec inc., faisant affaires sous la raison sociale d’Artisan B & H («Artisan»). Artisan avait signé un contrat d’entretien paysager et de déneigement avec le Syndicat, le 24 octobre 2006 pour la période du 1er novembre 2006 au 31 octobre 2007 (le «Contrat»).
[20] À son retour, peu de temps après, la neige avait recommencé à s’accumuler sur la pente. À son approche de la pente, pour pénétrer dans le garage intérieur, M. Basciu a vu que la voiture de M. Lan se trouvait dans la pente. M. Basciu arrête son véhicule et recule aussitôt pour laisser la voie libre à M. Lan. Il voit alors la voiture de M. Lan s’immobiliser au milieu de la pente. Ce dernier tente de reprendre sa montée, mais sa voiture dérape. M. Basciu ajoute qu’il aperçoit M. Lan tenter de reculer sa voiture vers l’intérieur du garage, mais il l’a fait trop rapidement. En ce faisant, sa voiture qui avait dérapé lors de sa tentative de monter la pente, n’était plus parallèle aux deux murs de ciment et a percuté le cadre de la porte de garage.
QUESTIONS EN LITIGE
[21] Le présent litige soulève les questions suivantes:
Le Syndicat doit-il être tenu responsable des dommages causés par l’accident de la voiture de M. Lan dans la pente enneigée de l'entrée de garage de l’édifice où il demeure, faute de l'avoir entretenu de façon adéquate le jour de l'accident?
Le cas échéant, à quelle indemnité a droit M. Lan pour les dommages causés à sa voiture?
ANALYSE ET DÉCISION
[22] Le droit applicable apparaît à l’article 1457 du Code civil du Québec («C.c.Q.») qui se lit comme suit:
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel. Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
[23] Quels sont les critères applicables lorsqu’une victime de dommages veut tenir le propriétaire des lieux responsable des dommages subis à cet endroit?
[24] Les principaux critères qui se dégagent de la jurisprudence en matière de chutes de personnes s’appliquent également à l’accident subi par M. Lan sur les parties communes relevant de la responsabilité du Syndicat.
[25] Dans l’affaire Lebel c. Ivanhoe[1], la Cour du Québec a dégagé de la jurisprudence les principes suivants qui s’appliquent autant à une entrée de garage qu’aux trottoirs et autant aux conducteurs d’automobiles qu’aux piétons qui y circulent:
Le propriétaire d’un immeuble n’est pas l’assureur de ceux qui se servent de ses trottoirs.
Il n’existe pas de présomption légale de responsabilité contre un propriétaire d’immeuble.
Le réclamant a le fardeau de la preuve et doit établir la faute du propriétaire.
Le réclamant doit démontrer qu’il y a eu négligence de la part du propriétaire.
Le propriétaire n’a pas une obligation de résultat et le réclamant ne peut exiger un degré de perfection.
Le propriétaire est tenu d’entretenir les lieux de façon sécuritaire en tenant compte des conditions climatiques.
Son obligation est celle d’une personne prudente.
Les piétons ont en hiver une plus grande obligation de prudence.
[26] Pour réussir son recours en responsabilité contre le Syndicat, M. Lan devait prouver de façon prépondérante l’existence d'une faute commise par le Syndicat, d'un préjudice subi (dommages) et du lien de causalité directe entre les deux (articles 1457, 2803[2] et 2804[3] C.c.Q.).
[27] M. Lan avait donc le fardeau de prouver de façon prépondérante que le Syndicat a commis une faute à son endroit et que cette faute est la cause directe de son accident dans l’entrée de garage survenu le 15 janvier 2007.
[28] La seule preuve que sa voiture a glissé ou dérapé dans la pente de l’entrée de garage est insuffisante pour engager la responsabilité du Syndicat. M. Lan devait également démontrer que son accident résulte du défaut du Syndicat d'entretenir adéquatement l’entrée du garage.
[29] À cet égard, le Tribunal fait siens les propos du Juge Guy Ringuet dans l’affaire Fortin c. Routhier Automobiles inc.[4], qui s’est exprimé comme suit sur l’étendue du fardeau de preuve requis en pareilles circonstances:
[47] Ce n'est pas en principe l'origine de la responsabilité qui détermine le régime de preuve applicable, mais bien la nature et l'intensité de l'obligation assumée.[5]
[48] L'obligation de la partie défenderesse est une obligation de moyens.
[49] La partie défenderesse est tenue d'agir avec prudence et diligence dans l'entretien de son terrain dont elle autorise l'accès au public. Elle doit employer tous les moyens raisonnables, sans toutefois assurer l'atteinte du résultat. Il ne s'agit pas d'une obligation de résultat.
[50] L'obligation de la partie défenderesse dans l'entretien de son terrain où circule le public est de prendre des moyens raisonnables, d'agir avec diligence et prudence afin de remplir son obligation.
[51] Lorsqu'une partie, comme dans le présent dossier, démontre qu'elle a pris tous les moyens raisonnables pour prévenir le fait qui a causé le dommage, elle n'est pas responsable du dommage à la victime.
[52] Une preuve circonstancielle et générale suffit. Les tribunaux exigent simplement que la partie se soit comportée en personne raisonnablement prudente et diligente avec les conséquences suivantes:
la partie défenderesse n'a pas à prouver la cause exacte de l'accident par une preuve directe et positive;
la preuve de l'absence de faute de la partie défenderesse peut rester générale.
[53] La preuve prépondérante révèle qu'avant l'accident la partie défenderesse a pris toutes les précautions qu'aurait prises une personne prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances de fait. La partie défenderesse n'est pas l'assureur des piétons qui circulent sur son terrain dans cette période de l'année.
….
[56] Le Tribunal souligne que le climat de ce pays est sujet à des fluctuations. La formation d'une plaque de glace à un moment X et la présence de neige durcie composent nos hivers. L'obligation de la partie défenderesse est de prendre les précautions qu'aurait prises une personne prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances de fait.
[30] Dans l’affaire de Benhattab c. Office municipal de Laval[6], le Juge Pierre E. Audet a traité du même sujet ainsi:
[15] Le droit de propriété emporte l'obligation en somme de maintenir la propriété dans un état d'entretien suffisant pour ne pas être source de danger envers les autres.
[16] Or, l'intensité du devoir d'agir de manière à ne pas causer de préjudice à autrui varie selon les circonstances et les usages, le cas échéant. C'est en particulier en fonction de la situation prévalant au moment de l'accident et selon le concours de l'ensemble des éléments entrant en jeu qu'il faut déterminer si la responsabilité est engagée[7].
[17] Dans leur traité sur la responsabilité civile, les auteurs Baudoin et Deslauriers écrivent en particulier au regard de la responsabilité du propriétaire d'un immeuble:
«La relation propriété-immeuble ne suffit pas à établir une présomption de faute mais lorsque la victime est parvenue à démontrer que le préjudice résulte de la ruine, causée par vice de construction ou un défaut d'entretien, la présomption pesant contre le propriétaire devient, en pratique, irréfragable.[8]»
….
[21] D'une part, il est indéniable que le propriétaire a une obligation de sécurité vis-à-vis les locataires et les usagers de son immeuble. Il doit prendre les mesures raisonnables pour que ces derniers puissent circuler en sécurité aux endroits prévus à cette fin, comme sur les trottoirs et dans les escaliers.
[22] D'autre part, cette obligation de sécurité du propriétaire n'est pas absolue. Il n'est pas l'assureur des personnes qui y circulent. Il est seulement tenu de veiller à ce que la construction et l'entretien de son immeuble soient suffisants pour répondre à un usage courant, normal et conforme à sa destination[9].
[23] Le propriétaire n'a pas par ailleurs à prévoir toutes les possibilités d'accidents sur sa propriété mais doit prévenir les accidents «normalement prévisibles» ou «assez probables».
[24] C’est à la demanderesse, madame Benhattab, de faire la preuve que l’OMHL a manqué à ses obligations selon un «standard de conduite raisonnable» et non pas un «standard de perfection». Dans la présente instance, madame Benhattab a prouvé de façon probante qu'elle est tombée dans l'escalier de l'immeuble de la défenderesse, l'OMHL, et qu'elle a subi un préjudice réel.
[25] La question se pose toutefois au regard de l'entretien des escaliers où la chute s’est produite le jour de l'accident. L’OMHL a-t-il fait défaut d’entretenir adéquatement les escaliers de son immeuble? Peut-on requérir raisonnablement d’un propriétaire d’un immeuble un matin de tempête que les escaliers soient libres de glace ou de neige?
…
[32] Les circonstances de la présente affaire amènent le Tribunal, avec égards, à conclure à l’absence de responsabilité de la défenderesse, l’OMHL, et, dans sa foulée, de l’appelée en garantie, les «Entreprises Lavallée».
[33] Un jour de tempête en particulier lors de ses premières manifestations, il apparaît déraisonnable d'exiger d’un propriétaire qu'il maintienne «sans neige» à tout moment les escaliers de son immeuble. Comme l’ont rappelés à quelques reprises nos tribunaux, en hiver, le phénomène d’un terrain ou d’un escalier glissant est prévisible; plus encore on ne peut s’attendre à une sécurité absolue des piétons qui circulent durant une tempête de neige[10].
[34] L’état glissant des escaliers de l’immeuble était connu de la demanderesse. Elle l’avait constaté à son arrivée en montant l'escalier menant à la porte d’entrée de l’immeuble où demeurait son amie. La preuve est contradictoire quant à l'existence d'une couche de glace sous la neige, laquelle recouvrait les marches de ce même escalier.
[35] La pose d’un revêtement antidérapant sur les marches aurait-t-il pu changer la donne?
[36] Or, même en supposant la présence de la glace, laquelle est vraisemblable, il apparaît déraisonnable d’exiger du propriétaire d’un immeuble un «niveau de protection» qui va au-delà de ce que la «personne raisonnable et prudente doit répondre» dans le contexte particulier de la présente affaire. La chute est survenue relativement tôt un dimanche matin, jour de tempête de neige. La personne qui connaît cette réalité doit redoubler de prudence.
[37] Par ailleurs, aucune preuve n’a été offerte à l’effet que le Code national du bâtiment requérait la pose d’un revêtement antidérapant sur les marches et, encore là, le lien causal aurait dû être établi.
[38] Enfin, la preuve n’est pas probante pour convaincre le Tribunal que, dans le passé, l’escalier en question n’a pas été entretenu de façon adéquate. Aucune preuve d’une chute antérieure au même endroit dans des conditions similaires et le registre de l’immeuble pouvant laisser croire à un historique fautif ne comporte aucune mention d’accidents.
[31] Le rapport de données horaires pour le 15 janvier 2007 émis par Environnement Canada (D-5) produit par le Syndicat révèle des précipitations de neige continues pendant de nombreuses heures durant la journée du 15 janvier 2007. Ce rapport n’indique cependant pas l’intensité des précipitations de neige cette journée-là.
[32] Le niveau de précipitation de neige le 15 janvier 2007 est une information qui est disponible sur le site web d’Environnement Canada.
[33] Il s’agit d’un fait assujetti aux dispositions de l'article 2808 C.c.Q.
[34] À ce sujet, le Tribunal fait sienne l’opinion du Juge Ringuet dans l’affaire précitée de Fortin:
[33] L'article 2806 du Code civil du Québec énonce que:
«Nul n'est tenu de prouver ce dont le tribunal est tenu de prendre connaissance d'office.»
[34] L'article 2808 du Code civil du Québec énonce que:
«Le tribunal doit prendre connaissance d'office de tout fait dont la notoriété rend l'existence raisonnablement incontestable.»
[35] Dans l'affaire Meubles Napert Ltée c. Ste-Marie de Beauce (Ville de), l'Honorable René Letarte conclut que les données qui sont publiées par Environnement Canada sont des faits que le Tribunal doit prendre connaissance d'office. Le Tribunal reproduit les extraits suivants:
«[104] Ces données qui ont été aussi publiées par Environnement Canada sont des faits «dont la notoriété rend l’existence raisonnablement incontestable» et dont par conséquent le Tribunal doit prendre connaissance d’office.
[105] Dans le but de vérifier le caractère exceptionnel de ces températures en 1999, le Tribunal a consulté les rapports des données quotidiennes publiées par cet organisme sur l’Internet pour les mois de mars 2000 à 2005 puisque la preuve révèle l’absence d’incidents attribuables au dégel de la rivière Chassé avant le procès qui s’est tenu à compter de la fin de novembre 2005.»[11]
[36] L'apport de la connaissance d'office du Tribunal s'impose comme un devoir. Le Tribunal ne peut ignorer un fait de connaissance répandue par le service d'Environnement Canada. La connaissance d'office du Tribunal complète le dossier et abrège le débat dans l'intérêt des parties et de l'administration efficace de la justice.
[37] La connaissance d'office est l'acceptation d'un fait sans preuve. Celle-ci s'applique à deux types de faits:
ceux dont la notoriété rend l'existence raisonnablement incontestable;
ceux dont l'existence peut être démontrée immédiatement et exactement par le recours à des sources facilement accessibles dont l'exactitude est incontestable.[12]
[38] Le sommaire météorologique mensuel révèle que le 22 mars 2004, la température maximale est de -4.9° et la température minimale est de -15.5°. La température moyenne est de -10.2°.
[35] Selon le Rapport de données quotidiennes pour janvier 2007 publié par Environnement Canada[13], les précipitations de neige durant la journée du 15 janvier 2007 ont totalisé 19,6 cm, la précipitation de loin la plus importante du mois de janvier 2007.
[36] De la preuve prépondérante, le Tribunal retient également le témoignage de M. Basciu à l’effet qu’Artisan avait déneigé l’entrée de garage peu de temps avant l’accident et que la neige avait, par après, continué de tomber et de s’accumuler sur la pente de l’entrée du garage. De plus, l’entrepreneur Artisan avait déneigé l’entrée conformément, aux termes du Contrat, qui prévoit qu’Artisan devait déneiger, entre autres, l’entrée du garage intérieur dès qu’il y avait une accumulation de plus de 5 cm de neige. Le Contrat prévoit également:
«Pour l’entrée du garage, Artisan B & H épandra du sel lors de ses présences sur le site.»
[37] M. Lan soutient qu’aucun sel n’avait été épandu avant son accident. Au soutien de son affirmation, il cite les propos de l’ancien concierge qui n’a pas témoigné mais qui aurait soi-disant dit que l’entrée n’avait pas été salée car il n’y avait pas de sel dans le bac adjacent. En défense, on a rétorqué que le concierge n’avait pas à épandre du sel sur la travée de l’entrée de garage, Artisan devant le faire à chaque visite, selon le Contrat. Qui plus est, le concierge travaillait à temps partiel à l’époque, il n’avait pas la responsabilité de l’entrée de garage et, de toute façon, il n’était pas présent au moment de l’accident. Il n’y a donc pas lieu de retenir cette portion du témoignage de M. Lan qui constitue par ailleurs du ouï-dire.
[38] Sur la foi de ce qui précède, on ne saurait exiger du Syndicat qu'il agisse à la perfection et de façon infaillible pour éviter tout dérapage dans la pente de l’entrée de garage. Il lui était seulement nécessaire de prouver qu'il avait utilisé les mesures raisonnables pour assurer la sécurité des lieux sous sa responsabilité et son contrôle.
[39] En aucun cas peut-il être considéré comme étant l'assureur des personnes qui circulent sur les parties communes du condominium.
[40] Quoi qu’il en soit, la preuve ne convainc pas le Tribunal que l’épandage de sel sur une pente durant une tempête de neige de telle importance aurait eu pour effet d’empêcher l’accident en question.
[41] La preuve prépondérante révèle qu’avant l’accident, Artisan avait déblayé l’entrée de garage conformément à ses obligations contractuelles, mais que la neige avait continué à tomber et à s’accumuler sur la pente de l’entrée de garage rendant celle-ci glissante nonobstant le déblayage récent.
[42] Avec grand respect pour l’opinion contraire, le demandeur n'a pas offert de preuve suffisante permettant au Tribunal de retenir que l’entrée de garage était en mauvaise condition et mal entretenu compte tenu des conditions météorologiques d’alors. Ceci empêche le Tribunal de conclure à une négligence du Syndicat dans l'entretien de l’entrée de garage et par conséquent, à une faute de sa part.
[43] En hiver, la présence de neige est prévisible et nécessite une vigilance accrue et une prudence de la part des usagers de l’entrée du garage. L’accumulation de neige, si minime soit-elle, rendait également prévisible la possibilité qu’une automobile dérape en circulant sur la pente enneigée. Cette prévisibilité était accrue d’autant si le véhicule s’immobilise en plein milieu.
[44] Il est clair que M. Lan, en s’apprêtant à sortir du garage intérieur et à gravir la pente, a vu que celle-ci était enneigée. Il devait redoubler de prudence en s’y engageant surtout qu’il savait ou devait savoir que l’entrée ne permet pas à deux automobiles d’y circuler en même temps. Le risque d’une rencontre fortuite avec un autre véhicule est omniprésent.
[45] Malheureusement, le hasard a fait en sorte qu’au moment de sortir, M. Basciu s’apprêtait à entrer sa voiture dans l’entrée de garage. En apercevant l’automobile de M. Basciu au haut de la pente, M. Lan a décidé de s’immobiliser au milieu de la pente enneigée. Dès qu’il a constaté que la voiture qui lui obstruait la sortie a reculé pour lui laisser le libre passage, M. Lan a décidé de poursuivre sa montée, mais en vain car ses roues glissaient sur la surface enneigée et sa voiture dérapait vers la paroi en ciment. Il a alors décidé de reculer celle-ci à l’intérieur du garage pour reprendre son élan mais en ce faisant, l’automobile qui n’était plus droite a percuté le cadre de la porte de garage. M. Basciu qui était en haut de la pente, a témoigné avoir vu l’accident et a relaté que M. Lan a reculé beaucoup trop rapidement pour redresser sa voiture et éviter la collision sur le cadre de porte.
[46] Avec égard, le fait que d’autres accidents similaires aient pu survenir par la suite, selon M. Lan, ne permet pas d’établir de façon prépondérante à l’existence d’une faute d’entretien du Syndicat le 15 janvier 2007.
[47] Au contraire, il appert davantage de la preuve offerte que le Syndicat a correctement assumé son obligation de moyen dans l'entretien des lieux communs du condominium dont l’entrée du garage et que le Tribunal ne peut le tenir responsable d'un malheureux accident sur une pente enneigée en hiver lors d’une tempête de neige importante.
[48] En pareilles circonstances, le Syndicat n’avait pas l’obligation légale d’éliminer tout risque de dérapage sur la pente de l’entrée du garage, une tâche presque impossible à réaliser en période hivernale et surtout, en période de tempête assortie d’une chute de neige importante étalée sur de nombreuses heures.
[49] Rappelons que selon l’article 2804 C.c.Q., le Tribunal doit, en fonction de la preuve administrée, retenir la preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence.
[50] Or, en l’espèce, le Tribunal est d’avis qu’en fonction de la preuve prépondérante, c’est la manœuvre imprudente de M. Lan, une fois engagé et arrêté à mi-chemin dans la pente enneigée, qui a causé les dommages qu’il réclame présentement du Syndicat. Avec respect, la faute se situe ici au niveau du manque de prudence du demandeur en reculant son automobile dans le garage, compte tenu des conditions climatiques d’alors et de l’état de la chaussée enneigée.
[51] Le hasard a voulu que M. Lan doive immobiliser son automobile dans la pente enneigée à cause de la présence de l’automobile de M. Basciu et qu’il doive reculer à nouveau dans le garage pour tenter une nouvelle montée. Le Tribunal ne peut conclure, en pareilles circonstances, à une faute commise par M. Basciu et encore moins à celle du Syndicat qui s'est conduit en personne raisonnablement prudente et diligente au niveau de l’entretien de l’entrée de garage.
[52] Bref, le Syndicat n’est pas l’assureur du demandeur dans cette affaire et il n'avait pas, par ailleurs, à prévoir toutes les possibilités d'accidents sur sa propriété. Il devait plutôt prévenir les accidents «normalement prévisibles» ou «assez probables»[14]. En l’espèce, un tel accident provoqué par un concours exceptionnel de circonstances n’était pas «normalement prévisible» ou «assez probable» pour entraîner la responsabilité du Syndicat.
[53] Il peut arriver, et il arrive malheureusement, des accidents malgré un entretien et une surveillance de l’état des trottoirs et de la chaussée qui ne résultent d'aucune négligence et pour lesquels il n'y a pas de compensation sanctionnée par la loi civile[15][16].
[54] Il faut rappeler que le Code civil du Québec n'exige pas une conduite visant à écarter toute possibilité d'accident.[17]
[55] Malgré toute la sympathie que le Tribunal a pour le demandeur suite à son malheureux accident, la réclamation de M. Lan doit être rejetée. Eu égard aux circonstances actuelles et particulières de la présente affaire, il est cependant juste et raisonnable de la rejeter sans frais.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
ACCUEILLE la requête en rétractation du jugement rendu le 2 septembre 2008, par le Juge Sylvain Coutlée contre le défendeur, le Syndicat des Copropriétaires L’Oasis du 3135-3155 Ernest Hemingway, dans la présente instance;
RÉTRACTE et ANNULE à toutes fins que de droit le jugement rendu le 2 septembre 2008, par le Juge Sylvain Coutlée contre le défendeur, le Syndicat des Copropriétaires L’Oasis du 3135-3155 Ernest Hemingway, dans la présente instance;
REJETTE la demande du demandeur, Monsieur Jean Lan, contre le défendeur, le Syndicat des Copropriétaires L’Oasis du 3135-3155 Ernest Hemingway;
LE TOUT, sans frais.
MICHEL A. PINSONNAULT, J.C.Q.
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[1] J.Q. No 2597, C.Q. 500-22-011759-977, 8 juillet 1999.
[2] 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
[3] 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[4] QCCQ 12505 (CanLII), 2007 QCCQ 12505.
[5] Baudouin et Deslauriers; La responsabilité civile, 6e Édition, Les Éditions Yvon Blais, au paragraphe 47.
[6] 540-32-012654-032, 17 octobre 2003.
[7] K-Mart Canada Ltée c. Madeleine M. Denoncourt, [2000] R.R.A. 888
[8] J.-L. Baudoin et P. Deslauriers, La responsabilité civile, 6e édition, Éd. Yvon Blais, 2003, pp. 620-621, paragraphe 889.
[9] Idem, paragraphe 904.
[10] Fabrique de la paroisse de St-Joseph de Granby c. Guay, [1994] R.R.A. 691 (C.A.); Curé et marguillier de l’œuvre et fabrique de la paroisse Bon-Pasteur c. Gauthier, [1990] R.R.A. 33 (C.A.) et Therrien-Sévigny c. Arguin, [1990] R.R.A. 764.
[11] C.S., 350-05-000106-995, le 1er février 2006; Voir aussi R. c. Cianfagna, Cour municipale de la Ville de Montréal, 104-108-071, le 28 juin 2007.
[12] R. c. Williams, 1998 CanLII 782 (C.S.C.),
[1998] 1 R.C.S. 1128, p. 1155.
[13]http://www.climate.weatheroffice.ec.gc.ca/climateData/dailydata_f.html?timeframe=1&Prov=XX&StationID=5415&Year=2007&Month=1&Day=15
[14] Benhattab c. Office municipal de Laval, note 6, paragraphe 23.
[15] Garberie c. Montréal (Cité de), SOQUIJ AZ-50293372.
[16] Gauthier c. Provigo Distribution inc./Supermarché Provigo, 2007 QCCQ 7916 (CanLII), 2007 QCCQ 7916, paragraphe 42.
[17] Idem, paragraphe 43.
Source: www.jugements.qc.ca