NON-CONFORMITÉS DANS LA CONSTRUCTION D'UN ÉDIFICE
COUR DU QUÉBEC
«Division des petites créances»
CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL LOCALITÉ DE MONTRÉAL
«Chambre civile»
N°: 500-32-075526-030
DATE: 2 février 2005
SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE JUGE MICHÈLE PAUZÉ
SYNDICAT DE LA COPROPRIÉTÉ JARDINS DUCHARME OUTREMONT,
Demanderesse
c.
HABITATIONS MONT-PINACLE LTÉE,
et
MARCEL GAGNÉ,
et
PAUL LEVASSEUR,
et
DANIEL BARBEAU,
Défendeurs
JUGEMENT
[1] Le Syndicat de la copropriété Jardins Ducharme Outremont (ci-après appelé le Syndicat) poursuit le promoteur et constructeur des immeubles situés aux 1165-1195 de la rue Ducharme à Outremont lui réclamant la somme de 12 832,31$ qu'il leur en a coûté pour installer à la demande de la Ville d'Outremont des canalisations d'incendie.
[2] Le Syndicat tient la défenderesse responsable du coût des travaux qui ont dû être effectués par cette dernière, la réclamation étant réduite à la somme de 7 000$ afin de bénéficier de l'application de la présente division.
[3] Le Syndicat poursuit également, à titre de co-défendeurs, les administrateurs de la défenderesse au motif que la compagnie défenderesse a été radiée.
[4] La défenderesse Habitations Mont-Pinacle Ltée (ci-après appelée Mont-Pinacle) soutient principalement que la présente réclamation n'est pas valable en droit puisque la construction a été faite selon les plans et devis approuvés par la Ville d'Outremont à l'époque, laquelle a d'ailleurs accepté les travaux tels qu'exécutés et que les plans et devis approuvés par la Ville démontrent la présence de gicleurs sur tous les niveaux. Ils ajoutent que la présence de canalisations d'incendie n'était absolument pas nécessaire et devait être contestée en cour, s'il y a lieu.
[5] Ils ajoutent que les administrateurs de la compagnie ne peuvent être personnellement tenus responsables d'une condamnation puisque cette dernière n'a pas trait à des salaires ou à une autre obligation de la Loi.
Les faits:
[6] L'audition débutée le 5 octobre 2004 s'est poursuivie le 13 décembre 2004 à la demande du Tribunal afin d'obtenir des informations supplémentaires sur la réglementation de la Ville d'Outremont concernant la protection contre les incendies.
[7] Le Syndicat prend possession de l'immeuble situé sur la rue Ducharme à Outremont, immeuble érigé par la défenderesse Mont-Pinacle, le 26 mai 1999, date à laquelle la déclaration de copropriété est enregistrée au Bureau de la circonscription foncière de Montréal. L'immeuble aurait d'ailleurs été livré, effectivement, le 29 mai 1999. L'immeuble comprend 24 unités réparties sur trois étages avec mezzanine intérieure située au troisième étage de la bâtisse.
[8] Mont-Pinacle, lors de l'érection de la bâtisse, avait muni les logements de gicleurs mais sans canalisations pour incendie.
[9] Sans en avoir été préalablement informé au moment de leur prise de possession, le Syndicat apprend que le 21 mai 1999, la Ville d'Outremont avait fait parvenir à Mont-Pinacle un avis de non-conformité du projet. À cet avis de non-conformité, on peut y lire entre autres que:
"(…). Suite à une inspection préliminaire aux adresses précitées en rubrique, le département de la prévention incendie du service de la construction et de l'aménagement a constaté les anomalies suivantes:
1) Présentement, il n'existe aucune canalisation d'incendie et aucune installation de prises de refoulement dans les escaliers des unités de bâtiments. (…)."
[10] La représentante du Syndicat, Madame Monique Vézina, souligne à la Cour qu'au moment de l'avis, certains travaux modifiant les lieux convertissaient le troisième étage en un quatrième étage en fermant les mezzanines. Ces travaux réalisés à cette époque n'avaient toutefois aucun effet ni aucun impact sur les cages intérieures d'escaliers donnant accès aux logements situés au troisième palier (soit ceux avec mezzanine ouverte/fermée).
[11] Le 22 novembre 1999, le Syndicat reçoit, cette fois, directement de la Ville, le même avis de corrections relatif, entre autres, à la canalisation d'incendie.
[12] Le 3 décembre 1999, la Ville d'Outremont émet un constat d'infraction contre Les Habitations du Mont-Pinacle pour avoir "omis d'installer des canalisations d'incendie et des prises de refoulement, tel qu'exigé dans le code, pour un bâtiment de quatre (4) étages". Le constat fait état d'une infraction à l'article 3.2.5.8 du Code national du bâtiment 1995.
[13] À l'émission de ce constat d'infraction, la Ville d'Outremont poursuit Les Habitations Mont-Pinacle en Cour municipale. Le 24 avril 2002, un jugement sur motion de non lieu est rendu rejetant la plainte intentée.
[14] De façon corollaire à cette poursuite par la Ville contre Mont-Pinacle, le 7 décembre 1999 le Syndicat met en demeure Mont-Pinacle d'apporter les corrections exigées par la Ville d'Outremont.
[15] Mont-Pinacle ayant refusé d'obtempérer à la mise en demeure et de faire les travaux, c'est le coût des correctifs apportés à la bâtisse (12 832,31$ réduit à 7 000$) que le Syndicat réclame.
[16] La compagnie défenderesse ayant été radiée d'office, le Syndicat poursuit personnellement les administrateurs.
[17] Pour leur part, les défendeurs plaident ce qui suit.
[18] Mont-Pinacle prétend que la construction de l'édifice s'est faite selon les plans et devis dûment approuvés par la Ville d'Outremont, le constructeur ayant pourvu l'immeuble de gicleurs. Mont-Pinacle ajoute qu'obliger maintenant le constructeur, voire les propriétaires actuels, de munir la bâtisse de canalisations d'incendie est non seulement tardif mais non nécessaire et non requis par le Code national du bâtiment.
[19] M. Barbeau, représentant Mont-Pinacle, précise d'ailleurs que les plans approuvés par la Ville, préalablement à la construction, laissent voir que des gicleurs ont été installés dans chaque logement. Ces travaux ont été acceptés tel qu'exécutés par la Ville d'Outremont. Il considère la demande de la Ville tardive.
[20] La Ville a été déboutée en Cour municipale dans sa poursuite contre Mont-Pinacle. D'ailleurs, la Ville n'est pas obligée de suivre les règlements prescrits au Code national du bâtiment puisque cette législation est unilingue anglophone et ne peut s'appliquer au Québec.
[21] Si la demanderesse a décidé d'installer une canalisation d'incendie sans même débattre l'affaire en Cour municipale, préalablement, c'est alors son choix sans que la défenderesse en soit tenue responsable. Il ne s'agit aucunement ni d'un vice de construction ni d'un vice caché.
[22] Les administrateurs de Mont-Pinacle soutiennent finalement qu'ils n'ont pas à être tenus responsables d'une condamnation n'ayant jamais été de mauvaise foi.
Questions en litige:
Quel est l'effet de l'acquittement de Mont-Pinacle en Cour municipale sur les présentes procédures?
Le Code national du bâtiment est-il applicable en l'instance?
La responsabilité de la défenderesse est-elle engagée?
La condamnation personnelle des administrateurs est-elle recevable?
Discussion:
1. Quant à l'effet de l'acquittement de Mont-Pinacle en Cour municipale sur les présentes procédures:
[23] De l'opinion du Tribunal, l'acquittement de la défenderesse n'a pas d'effet sur la présente décision. En effet, c'est sur motion de non lieu que la défenderesse a été acquittée devant la Cour municipale au motif principal qu'au moment de l'acte reproché, soit de ne pas avoir respecté le règlement municipal au mois de décembre 1999, la défenderesse en l'instance n'était plus propriétaire des immeubles en question. N'étant plus propriétaire, elle ne pouvait donc pas être condamnée.
2. Le Code national du bâtiment est-il applicable en l'instance?
[24] Tel que preuve en a été faite au dossier de la Cour, le Code national du bâtiment fait partie intégrante du Règlement de construction numéro 1178 de la Ville d'Outremont et ce, depuis le 16 mai 1998.
[25] Le Code national du bâtiment dont les articles pertinents ont été reproduits et déposés au dossier de la Cour sont en français et font également partie intégrante d'une réglementation municipale en vigueur sur le territoire de la Ville d'Outremont, maintenant l'arrondissement.
[26] Que le Code national du bâtiment s'inspire d'une autre législation étrangère n'empêche pas la validité de cette législation si celle-ci respecte les conditions d'application du territoire provincial. Comme le souligne l'article 2807 du Code civil du Québec, le Tribunal doit prendre connaissance d'office du droit en vigueur au Québec. Toutefois, la preuve doit être faite des textes d'application des lois qui ne sont pas publiés à la Gazette Officielle du Québec comme les traités et accords internationaux qui ne sont pas intégrés dans un texte de loi. Comme le Code national du bâtiment est maintenant intégré dans la réglementation municipale ayant cours sur le territoire de la Ville d'Outremont, cette législation est valable et applicable.
[27] Le Tribunal rejette donc ce deuxième élément de défense.
3. La responsabilité de la défenderesse est-elle engagée?
[28] Plus particulièrement lors de l'audition du 13 décembre 2004, il a été mis en preuve que le permis de construction requis par la défenderesse et émis par la Ville le 22 décembre 1998, l'a été pour un édifice de quatre étages (et non trois étages).
[29] Le Règlement de construction s'appliquant à cette date est le Règlement portant le numéro 1178 avec la modification en vigueur à compter du 16 mai 1998.
[30] D'ailleurs, l'article 6.1 de ce Code énonce ce qui suit:
"6.1 Code
L'édition 1995 du Code national du bâtiment dont copie est jointe à l'annexe A constitue, sous réserve des autres dispositions du présent règlement et des normes d'implantation prévues au Règlement de zonage 1177, une partie du présent règlement."
[31] Il appert à l'article 3.2.5.8 du Code national du bâtiment, article relatif aux réseaux de canalisations d'incendie, les dispositions suivantes:
" 3.2.5.8 Réseaux de canalisations d'incendie
1) Sous réserve du paragraphe 3.2.5.9 4), il faut installer un réseau de canalisations d'incendie dans chaque bâtiment:
a) de plus de 3 étages de hauteur de bâtiment;
(…)". (soulignements ajoutés)
[32] Par ailleurs, le Règlement portant le numéro 1130 de la Ville d'Outremont traite, lui, de la prévention contre les incendies. Le chapitre III traitant de l'extinction, détection et alarme prévoit en son article 3.2 ce qui suit:
" 3.2 Colonnes d'eau et tuyaux
Des canalisations d'incendie et des robinets d'incendie armés, doivent être installés suivant les normes du G.T.A. en vigueur lors de l'émission du permis de construction, telles que recommandées par la N.F.P.A. à chaque étage de:
3.2.1. tout bâtiment de plus de trois (3) étages ou de plus de 14 m de hauteur, comptant et mesurant du point le plus bas du terrain adjacent au bâtiment, sauf les garages de remisage couverts et non chauffés.
(…)". (soulignements ajoutés)
[33] La preuve a révélé de façon prépondérante que l'immeuble est muni de gicleurs mais pas de canalisations. Or, il s'agit d'un immeuble de plus de trois étages et pour être conforme à la réglementation municipale, cet immeuble doit être muni, en plus de gicleurs, de canalisations.
[34] Le représentant de la Ville et inspecteur en construction et prévention incendie, M. Pierre Vandewalle, a expliqué au Tribunal qu'un tel édifice doit être muni d'un système de canalisations. C'est suite à de nombreuses discussions et vérifications que cette recommandation a été faite dans un premier temps à Habitations Mont-Pinacle et que les procédures devant la Cour municipale ont été entreprises.
[35] Par ailleurs, le 13 juin 2002, une même demande de voir à appliquer les correctifs exigés par la réglementation municipale est adressée au Syndicat. Le Syndicat devait donc respecter la réglementation municipale et faire en sorte que son immeuble soit muni de canalisations.
[36] Or, l'immeuble qui devait être livré au Syndicat se devait de respecter la réglementation municipale au départ ainsi que la garantie de qualité par un vendeur professionnel en vertu de l'article 1729 du Code civil du Québec. Mont-Pinacle avait d'ailleurs été prévenue en ce sens et les poursuites judiciaires avaient été intentées contre cette dernière. C'est sur motion de non lieu que la défenderesse a été libérée de toute poursuite municipale mais il n'en demeure pas moins que civilement, elle devait respecter les conditions de la réglementation municipale.
[37] En ne livrant pas un immeuble conforme à la réglementation municipale, elle doit donc, aujourd'hui, payer et rembourser à la demanderesse ce qu'il lui en a coûté pour respecter cette réglementation et rendre son immeuble conforme.
[38] Les travaux dépassent la somme réclamée de 7 000$, compte tenu de l'application de la présente juridiction, et cette somme est donc remboursable.
4. La condamnation personnelle des administrateurs est-elle recevable?
[39] La responsabilité personnelle des administrateurs ne peut être retenue, le voile corporatif n'étant pas soulevé et aucune fraude de leur part n'ayant été ni alléguée, ni prouvée. Ils n'ont commis aucun acte prohibé par la Loi ni aucune faute en contravention à une prohibition statutaire.
[40] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[41] ACCUEILLE l’action de la demanderesse;
[42] CONDAMNE la défenderesse Les Habitations Mont-Pinacle Ltée à payer à la demanderesse la somme de 7 000$ avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ainsi que l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec et les frais de 182$.
[43] REJETTE la réclamation personnelle dirigée contre les co-défendeurs Marcel Gagné, Paul Levasseur et Daniel Barbeau, chaque partie payant ses frais.
MICHÈLE PAUZÉ, J.C.Q.
Source: www.jugements.qc.ca