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Saint-Laurent, Québec

 

LORSQU'UN COPROPRIÉTAIRE DÉPASSE LES BORNES!


 

COUR DU QUÉBEC

«Division des petites créances»

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC

LOCALITÉ DE QUÉBEC

«Chambre civile»

N°: 200-32-042438-068

DATE: 10 juin 2008

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE ANNE LABERGE, JL2654

JANINE CÔTÉ, […], Québec, Qc, […]

Demanderesse

c.

JEAN-HUGHES LAUZON, […], Québec, Qc, […]

Défendeur

 

JUGEMENT

 

[1] La demanderesse intente en septembre 2006, un recours contre le défendeur aux termes duquel elle lui réclame 6 000$ en dommages corporels.

 

[2] Le défendeur conteste cette demande et se porte demandeur reconventionnel pour une somme de 7 000$ en raison du harcèlement constant qu'elle lui fait vivre depuis 2000.

 

[3] Le 28 novembre 2006, la demanderesse se désiste de sa demande.

 

[4] L'audition ne porte en conséquence que sur la demande reconventionnelle.

 

[5] Le défendeur soumet essentiellement avoir acheté un condominium dans le bloc […], en 2000, voisin de celui de la demanderesse. Un mur mitoyen sépare leur chambre respective.

 

[6] Dès le début, il doit supporter la musique très forte provenant de l'unité de la demanderesse jour et nuit, ce, même en son absence car elle laisse sa radio en fonction. Sans compter les cris et injures en pleine nuit que la demanderesse dirige vers sa voisine avec laquelle elle est en conflit ainsi que les coups qu'elle donne au plafond.

 

[7] La demanderesse se plaint constamment du bruit provenant de chez sa voisine laquelle finit par déménager.

 

[8] La demanderesse dirige ensuite sa colère contre le défendeur à qui elle impute désormais la responsabilité des bruits dont elle se plaint.

 

[9] Elle augmente le volume de sa radio pour enterrer les bruits.

 

[10] En 2002, la demanderesse est déclarée coupable de trois infractions d'avoir troublé la paix avec un appareil destiné à reproduire, amplifier le son (D-2).

 

[11] En 2003-2004, le défendeur reçoit une dizaine d'appels insultants de la part de la demanderesse qui lui reproche toujours de faire du bruit. Malgré ses tentatives pour la raisonner, elle continue de le harceler, estimant qu'il est la source de ses ennuis. Ce que nie catégoriquement le défendeur alors étudiant en médecine et qui n'en peut plus de voir son sommeil perturbé.

 

[12] S'ensuivent à l'automne 2004, des lettres anonymes qu'elle laisse sur sa porte. Dans l'une d'elle, elle lui reproche d'avoir fait du tapage toute une nuit alors qu'il était de garde à l'urgence de l'hôpital Laval.

 

[13] Il réussit par la suite à la convaincre que le bruit ne provient pas de chez lui. Elle se calme quelques jours pour reprendre ensuite ses cris, insultes et coups dans le mur.

 

[14] De guerre lasse, le défendeur doit se résoudre à déplacer son matelas dans le salon (pièce la plus éloignée) pour arriver à dormir. Il a même changé ses habitudes pour tenter de la satisfaire (ni douche, ni chasse d'eau après 22h00).

 

[15] En février 2005, elle le réveille bruyamment vers 6h00 du matin. Le défendeur porte alors une plainte contre elle (D-3) auprès du conseil d'administration du syndicat de la copropriété.

 

[16] Un procès-verbal (D-4) relate notamment que la demanderesse a un très faible seuil de tolérance aux bruits normaux causés par un voisinage de proximité naturelle.

 

[17] Elle a intenté un recours en 1998 (deux ans avant l'arrivée du défendeur) contre les Jardins de Mérici alléguant une insuffisance d'insonorisation de son appartement. Un règlement hors cour en 2002 lui permet d'améliorer l'insonorisation. Sans succès. Le défendeur est même déménagé quelques mois chez son amie pour avoir la paix.

 

[18] Le conseil d'administration a offert à la demanderesse d'envoyer quelqu'un pour écouter. Des membres y sont allés 4 fois en trois mois en 2005, et 6 fois au cours d'une semaine en 2006. Ces visites, d'une durée de 20 minutes à 1 heure, n'ont rien révélé.

 

[19] Une seule fois, monsieur Rosaire Jean, secrétaire exécutif du syndicat, témoigne avoir entendu un petit bruit provenant de la ventilation qu'il a fait corriger sans délai en mars 2006.

 

[20] Il a par ailleurs remarqué dans la salle de bain de la demanderesse, un système de son placé sur le réservoir de toilette dont les caisses de son étaient dirigées vers le mur du voisin (défendeur).

 

[21] Le 7 mars 2006, suite aux plaintes des voisins et constatations les membres du conseil d'administration, un avis formel (D-5) est transmis par le président du syndicat à la demanderesse la sommant de se conformer aux articles de la déclaration de la copropriété (24.3.2.3 et 24.3.2), imposant le respect de la quiétude et de la tranquillité des autres copropriétaires.

 

[22] Témoin à l'audition, madame Jocelyne Savignac, tante du défendeur, relate avoir séjourné dans son appartement entre le 31 octobre 2005 et le 30 juin 2006, trois/quatre jours par semaine. Elle précise que 2 nuits sur 4, elle était réveillée par les cris de la défenderesse et ses injures, vers 4, 5 heures le matin. Elle a enregistré ses cris le 6 juin 2006, cassette entendue à l'audition et qui se passe de commentaire. Elle devait aussi supporter la musique à tue-tête provenant de chez la demanderesse de jour comme de nuit, ainsi que les injures.

 

[23] Pour sa part, madame Sylvie Fortin, précise être propriétaire des deux unités au dessus de celle de la demanderesse. La mère de madame Fortin, âgée de plus de 80 ans est victime elle aussi du harcèlement de la demanderesse qui crie, l'insulte au téléphone. Madame Fortin et sa mère ont tout tenté pour régler la situation (changement des appareils électro ménagers, tapis sur la céramique, tapis sur le balcon) sans succès.

 

[24] La conjointe du défendeur est elle aussi victime des injures de la demanderesse et de la musique à tue-tête. Ils n'en peuvent plus.

 

[25] À l'encontre de la demande reconventionnelle, la demanderesse ne comprend pas que le défendeur persiste dans son recours, puisqu'elle s'est désistée de sa demande. Elle croit qu'il veut se venger suite à la plainte au criminel qu'elle a portée contre lui dont il a été acquitté.

 

[26] Elle ne nie pas par ailleurs diriger ses caisses de son vers chez lui estimant être libre d'agir de la sorte.

 

[27] Quant aux cris, elle estime pouvoir parler sur le ton qu'elle veut.

 

[28] Le Tribunal conclut en partie au bien-fondé de la demande reconventionnelle, le défendeur ayant rempli le fardeau de preuve qui lui incombait en vertu des articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec.

 

[29] La preuve révèle que la demanderesse a un comportement qui dépasse l'entendement.

 

[30] Le droit de jouir de sa propriété et d'avoir une vie privée est assujetti notamment à deux tempéraments, prévus aux articles 7 et 976 du Code civil du Québec, ainsi libellés:

 

«7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

 

976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.»

 

[31] C'est ce dernier article qui fixe plus particulièrement le critère à prendre en compte pour examiner un litige entre voisins. Le Tribunal fait siens les propos du juge Yves Alain j.c.s. dans l'affaire Lessard c. Bernard à cet égard:

 

«La mesure applicable est le caractère anormal et exorbitant des inconvénients. Il n'est plus question ici de faute. Le propriétaire devient responsable de plein droit sans qu'il y ait faute dès que l'utilisation de son droit a pour effet de causer préjudice à autrui si ce préjudice dépasse les inconvénients normaux que chacun est tenu de subir. Dès que l'usage du droit de propriété cause à autrui un préjudice qui dépasse la norme généralement admise des inconvénients normaux du voisinage, eu égard aux circonstances, l'usager du droit devient alors responsable du préjudice causé en raison du fait que son droit est utilisé de manière excessive et anormale. Le droit de jouir de sa propriété s'arrête où celui du voisin commence.

 

Toute contravention au respect des droits précités, peut entraîner une condamnation à des dommages-intérêts.»

 

[32] Le défendeur a prouvé que la demanderesse pose des gestes anormaux et exorbitants à son égard depuis plusieurs années.

 

[33] De plus, elle a admis à l'audition diriger ses caisses de son en direction de son unité et en regard de l'enregistrement de ses cris, ne trouve rien d'autre à dire qu'elle peut parler sur le ton qu'elle choisit.

 

[34] Le Tribunal estime qu'une compensation de 3 000$ apparaît juste et raisonnable dans les circonstances.

 

[35] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

 

[36] ACCUEILLE en partie la demande reconventionnelle;

 

[37] CONDAMNE la demanderesse à payer au défendeur 3 000$, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec et les frais.

 

ANNE LABERGE, J.C.Q.

 

Source: www.jugements.qc.ca