INTERDICTION DES ANTENNES PARABOLIQUES (DISH)
COUR DU QUÉBEC
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE QUÉBEC
LOCALITÉ DE QUÉBEC
«Chambre civile»
N°: 200-02-029176-023
DATE: 12 mars 2003
SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MICHEL ST-HILAIRE, J.C.Q.
9086-5825 QUÉBEC INC.
Locateur- Appelant
c.
LUC PELLETIER
Locataire - Intimé
JUGEMENT
[1] La présente requête qui porte en appel une décision de la Régie du logement rendue le 13 février 2002, a été autorisée le 21 août 2002 par jugement de l'honorable juge Peter Bradley.
[2] Le litige porte sur le droit du locataire d'installer une antenne parabolique sur le balcon de son logement.
[3] Le locataire-intimé a loué de l'appelant un appartement sis dans une copropriété divise.
[4] L'édifice comprend 180 condos et celui faisant l'objet du litige est situé au 13 étage de l'édifice qui en compte 21.
[5] L'antenne parabolique fut installée par l'intimé sur le garde du balcon en septembre 2001.
[6] Le locateur vit sa demande d'enlèvement de l'antenne parabolique rejetée par le régisseur Pierre Leblanc. Ce dernier s'appuie sur l'article 1900 C.c.Q. pour rendre une décision favorable au locataire-intimé. Faisant partie du bail, une annexe intitulée "règlements de l'immeuble" contenant la stipulation suivante est remise au locataire: Il est actuellement interdit au locataire d'installer sur ou à l'immeuble toute antenne de quelque nature que ce soit sans avoir reçu au préalable l'autorisation écrite du locateur.
[7] Il est admis par les parties qu'aucune autorisation ne fut obtenue du locateur pour l'installation d'une antenne.
[8] Il a aussi été établi de façon prépondérante que le règlement de la copropriété fut transmis à l'intimé en septembre 2000, soit avant l'installation de l'antenne.
[9] Les deux dispositions suivantes des règlements de la copropriété furent alors portées à l'attention de l'intimé:
ARTICLE 92.
3° Il ne peut être placé sur la façade de l'immeuble ni ailleurs aucune enseigne, réclame, lanterne ou écriteau quelconque sans avoir obtenu au préalable et par écrit la permission du conseil d'administration du syndicat ou, le cas échéant, du gérant.
4° Les portes d'entrée des parties privatives, les fenêtres et persiennes, les garde-corps, balustrades, rampes et barres d'appui des balcons et fenêtres, même la peinture et, d'une façon générale, tout ce qui contribue à l'harmonie de l'ensemble, ne peuvent être modifiés bien que constituant une partie à usage restreint sans l'autorisation du conseil d'administration du syndicat.
[10] Il est aussi admis qu'aucune autorisation n'a été donnée par le syndicat permettant l'installation de l'antenne de l'intimé.
[11] Les règlements que le locataire s'est engagé à respecter en signant son bail sont-ils valides en regard de l'article 1900 C.c.Q.?
[12] Les photos I-1 déposées par l'intimé nous laissent voir clairement ce qu'il adviendrait de l'apparence de l'immeuble si chaque balcon était décoré d'une antenne choisie au goût de chacun des occupants des 180 condos. Le Tribunal ne voit donc rien d'abusif dans ces règlements.
[13] La décision portée en appel s'appuie sur l'article 1900 C.c.Q. pour déclarer invalides les règlements d'immeubles qui sont des conditions du bail parce qu'ils privent le locataire de son droit d'acheter des biens et services.
[14] Selon lui, toute stipulation qui limite le droit du locataire d'acheter des biens ou d'obtenir des services de personnes de son choix est nulle.
[15] Il admet que les copropriétaires de condos peuvent s'imposer ces restrictions, mais ces restrictions doivent tomber "quant (sic) vient le temps de louer leur condo pour fins d'habitation résidentielle".
[16] Cette interprétation va à l'encontre de l'intention du législateur exprimée à cette disposition du Code civil.
[17] Le tribunal doit ici reprendre à son compte
l'interprétation de Me Michel Dubé qui se lit comme suit [1] :
Le législateur, par l'adoption de l'article 1900 C.c.Q., voulait contrer une certaine mode par laquelle le locateur désirait imposer à son locataire l'achat de biens ou l'obtention des services de personnes de son choix, suivant les modalités dont lui-même convenait. À titre d'exemple, certains locateurs pouvaient exiger de leurs locataires qu'ils s'approvisionnent d'huile à chauffage chez tel fournisseur plutôt que tel autre. Au présent dossier, le locateur ne veut pas empêcher le locataire d'obtenir certains services. Cependant, elle doit se conformer à certaines exigences dans les installations ou aménagements qu'elle envisage.
[18] Dans une autre décision de la Régie du logement [2] , Me Claude Couture nous dit ce qui suit au sujet de clauses interdisant l'installation d'antenne parabolique dans les conditions de baux:
Les droits individuels sont parfois
limités par des droits collectifs devant prévaloir dans un immeuble de cette
taille (190 logements).
…
La jurisprudence est abondante sur les clauses de prohibition des antennes et les tribunaux ont toujours maintenu que ces clauses n'étaient pas déraisonnables et devaient être respectées.
[19] Le tribunal est donc d'opinion, comme l'est la jurisprudence abondante, que les règlements que le locataire-intimé a acceptés de respecter en signant son bail sont valables et ne vont pas à l'encontre de l'article 1900 C.c.Q.
[20] L'intimé est-il lié par l'article 1057 C.c.Q.?
[21] Cette disposition qui s'applique dans le présent cas se lit comme suit:
Le règlement de l'immeuble est opposable au locataire ou à l'occupant d'une partie privative dès qu'un exemplaire du règlement ou des modifications qui lui sont apportées lui est remis par le copropriétaire ou à défaut, par le syndicat.
[22] L'article 1057 C.c.Q. a priorité sur les dispositions applicables en matière de location quant au locataire d'une partie privative [3] .
[23] Dans la présente instance, le locateur ne fait que soumettre le locataire à la même obligation à laquelle il est lui-même soumis en vertu des règlements édictés selon l'acte de copropriété.
[24] Il est ici tout à fait logique de croire que le locataire n'ait pas plus de droit que le locateur lui-même, ce qui est nullement abusif.
[25] L'interdiction d'installer des antennes sur le balcon des 180 condos de l'immeuble ne fait que consacrer le droit absolu qu'ont les copropriétaires de conserver et protéger l'unité architecturale de l'immeuble.
[26] Quant à la validité d'un règlement de copropriété interdisant l'installation d'antennes paraboliques, la Cour d'appel s'est prononcée affirmativement sur ce point [4] .
[27] L'intimé soutient aussi qu'aucun préjudice sérieux n'est causé aux autres occupants par l'installation de l'antenne parabolique appuyant cet argument sur l'article 1863 C.c.Q.
[28] La question du préjudice sérieux aux autres occupants d'un immeuble ne s'applique que si l'on demande la résiliation du bail, ce qui n'est pas le cas [5] [29] Les motifs d'appel à l'encontre de la décision de la Régie du logement sont bien fondés.
[30] EN CONSÉQUENCE, LE TRIBUNAL:
[31] ACCUEILLE l'appel;
[32] INFIRME la décision du 13 février 2002 de la Régie du logement no 18011105 010G;
[33] ORDONNE à l'intimé d'enlever l'antenne parabolique installée sur le balcon du condominium loué de l'appelant dans les quinze (15) jours du présent jugement;
[34] LE TOUT avec dépens.
MICHEL ST-HILAIRE, J.C.Q.
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[1] Office municipal d'habitation de Baie Comeau c. Rita Glazer 2001, J.L. 165
[2] Sogedec Inc. c. Norman Hahn, 2001 J.L. 151
[3] Brishin c. Fernandez, 1996 J.L. p.139
[4] Syndicat des copropriétaires de l'Aristocrate c. Michael Morgan et MGM Shipping Inc., AZ02019157
[5] Office municipal d'habitation de Montréal c. Nahed Kouzi, 1997, J.L. 99
Source: www.jugements.qc.ca