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Saint-Laurent, Québec

 

Assurances et copropriété:

LES EFFETS PERVERS DE LA CLAUSE DE RENONCIATION À LA SUBROGATION

Élie Boridy, administrateur, Syndicat des copropriétaires du 995 Muir

Arrondissement Saint-Laurent, Montréal


 

La procédure habituelle de réclamation en cas de sinistre

Un jour, vous rentrez chez vous et vous constatez que votre salle de bains ou votre salle de séjour est inondée à cause d’une fuite d’eau provenant de l’appartement au-dessus du vôtre. Vous subissez de sérieux dommages au plafond, aux murs et au plancher de ces pièces. Vous apprenez alors que la cause de la fuite est une douche défectueuse de votre voisin d’en haut.

 

Quoi faire?

 

La procédure habituelle est la suivante. Vous informez votre Syndicat de copropriété qui se charge d’appeler le plombier pour colmater la fuite. Le Syndicat avise son assureur qui dépêche un évaluateur pour estimer le coût des réparations à faire chez vous et, s’il y a lieu, chez votre voisin et dans les parties communes.

 

L’assureur du Syndicat paiera pour toutes ces réparations, moins la franchise de sa police d’assurance.

 

Si le coût des réparations est moindre que la franchise de l’assurance du Syndicat, ce dernier assumera entièrement les frais des réparations. Dans cette éventualité, le Syndicat pourrait alors décider de ne pas impliquer son assureur. Il a par contre le droit de réclamer les frais de réparation du voisin responsable de la fuite d’eau. Ce dernier pourrait s’adresser à son assureur pour se faire rembourser en vertu de la protection contre la responsabilité civile de sa police d’assurance. Votre voisin pourrait également décider de payer les frais et ne pas informer son assureur s’il estime que le coût de sa police d’assurance risque d’augmenter.

 

Toutefois, si le coût des réparations dépasse la franchise de l’assurance collective de l’immeuble, le Syndicat n’est en droit de réclamer de votre voisin que le montant de la franchise qui représente le préjudice subi par le Syndicat puisqu’il aura été indemnisé en partie par son assureur.

 

Mais que se passe-t-il si vos biens meubles et autres effets personnels subissent également des dommages à cause de cette fuite d’eau? L’assurance du Syndicat ne paiera pas pour ce type de dommages. Il faudrait vous adresser à votre propre assureur qui vous indemnisera pour toute perte qui va au-delà de la franchise de votre police d’assurances. Si les pertes sont en-deçà de la franchise, vous devez en assumer les coûts. Mais, tout comme le Syndicat, vous pourriez réclamer ces coûts du voisin responsable qui les réclamera, s’il le juge à propos, de son assureur en vertu de sa protection au chapitre de la responsabilité civile. Mais si les pertes dépassent le montant de la franchise de votre police d’assurance, vous ne pouvez réclamer de votre voisin que le montant de cette franchise qui représente alors le préjudice que vous aurez subi.

 

La clause de renonciation à la subrogation et l’injustice qu’elle entraîne

Dans cette histoire, l’assureur du copropriétaire responsable du sinistre n’aura donc déboursé, au maximum, que la franchise de la police d’assurance du Syndicat et celle de votre propre police d’assurance. Et cette situation est loin de lui déplaire! Si, par exemple, la franchise du Syndicat est de $2500 et la vôtre est de $500, l’assureur de votre voisin ne paiera qu’un montant maximal de $3000. C'est pour cette raison que lorsque des sinistres surviennent, les assureurs des copropriétaires responsables insistent souvent pour que les assureurs de toutes les parties impliquées soient informés.

 

Pourquoi cela? Parce que les déclarations de copropriété contiennent généralement une clause de renonciation à la subrogation. La subrogation est le droit d’un assureur de réclamer du copropriétaire responsable et de son assureur les montants qu’il a versés à son client et ce sans son approbation.

 

La plupart des déclarations de copropriété requièrent toutefois que les assureurs renoncent à cette possibilité de subrogation.

 

Selon ce principe de renonciation à la subrogation, l’assureur du Syndicat et votre assureur ne pourraient pas réclamer du voisin fautif ou de son assureur les montants qu’ils ont versés. Par contre, le Syndicat (pas son assureur) et vous-même (pas votre assureur) pouvez réclamer en responsabilité civile du voisin fautif (et indirectement de son assureur) les montants des franchises des polices d’assurances respectives, c’est-à-dire les montants que ces deux assureurs n’auront pas payés (qui représentent les préjudices subis par le Syndicat et par vous-même).

 

Cette façon de procéder entraîne cependant des injustices à la fois pour le Syndicat et pour les copropriétaires qui ont subi des dégâts.

 

Supposons en effet que, dans l’exemple précédent, les dégâts que le Syndicat et vous-même avez subis sont majeurs et que les réparations coûtent, disons, $25000 dans le cas du Syndicat et $10000 dans votre cas. L’assureur du Syndicat lui paiera $22500, en tenant compte de la franchise de $2500, et votre assureur vous remboursera $9500 après avoir soustrait votre franchise de $500. Par contre, l’assureur du voisin responsable des dégâts ne paiera que $3000, c’est-à-dire la somme des deux franchises. Paradoxalement, ce sont le copropriétaire responsable du sinistre et son assureur qui s’en sortent le mieux dans cette histoire.

 

À cette situation injuste s’ajoute évidemment le risque pour le Syndicat et pour vous-même de voir les primes des polices d’assurance respectives grimper l’année suivante, alors que le voisin fautif pourrait s’en tirer sans craindre une augmentation de sa prime d’assurance, son assureur n’ayant déboursé qu’un montant beaucoup plus faible.

 

Subrogation ou pas, le Syndicat et les copropriétaires ayant subi des pertes et des dommages n’ont aucune obligation d’en informer leurs assureurs

Ces effets pervers de la clause de la renonciation à la subrogation découlent du fait que le Syndicat et les copropriétaires se croient obligés d’appeler leurs assureurs chaque fois qu’ils subissent des dégâts importants (et parfois des dégâts mineurs). En réalité, lorsque la source de ces dégâts (c’est la douche du copropriétaire d’en haut dans l’exemple précité) et la responsabilité du sinistre (celle de ce copropriétaire) sont clairement identifiées, la jurisprudence nous apprend que le Syndicat et les copropriétaires ayant subi des pertes et des dommages n’ont aucune obligation d’en informer leurs assureurs. Cela n’est requis ni par la Loi, ni par la déclaration de copropriété. Dans ce cas, il est plus avantageux pour eux de poursuivre directement le copropriétaire responsable sans passer par leurs assureurs.

 

Dans une récente cause de la Cour du Québec (*), un copropriétaire qui a subi des dégâts causés par une douche défectueuse de son voisin de l’étage supérieur, a effectivement choisi de n’informer formellement ni son assureur ni le Syndicat. Il a plutôt opté de poursuivre directement son voisin fautif pour les pertes qu’il a subies. Il a agi de la sorte en suivant les conseils de son courtier d’assurance qui voulait ainsi lui éviter une éventuelle augmentation de sa prime d’assurance.

 

Et le juge lui a donné raison!

 

La défense du copropriétaire responsable des dégâts reposait essentiellement sur l’existence de la clause de renonciation à la subrogation et le plaignant a été accusé de vouloir contourner cette clause en refusant de faire une réclamation à son assureur et au Syndicat. Le juge a vite rappelé que cette clause ne concerne que les assureurs et ne lie ni le Syndicat, ni les copropriétaires.

 

Dans cette cause, le copropriétaire responsable du sinistre et son assureur ont été condamnés à payer au plaignant la totalité du coût des réparations, sans aucune franchise, et sans que cet incident soit porté à son dossier d’assurance…, comme la logique et la justice l’exigent!

 

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(*) Liverman c. Manaster, Cour du Québec, No. 500-22-144795-088, 13 octobre 2009.