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Saint-Laurent, Québec

 

COPROPRIÉTÉ EN DIFFICULTÉ:
ÉVITONS QUE LE TOIT NOUS TOMBE SUR LA TÊTE!

Mélanie Beaudoin, avocate (Le Journal Barreau du Québec, Novembre 2007)


 

En France, la situation des copropriétés en difficulté est tellement importante que le président Nicolas Sarkozy en a fait l’une de ses priorités. Au Québec, si la problématique est moins marquée, il n’en demeure pas moins que certains immeubles sont déjà touchés…

 

L’achat d’une copropriété ne se fait pas sans vérifications: notaire, agents immobiliers…Tous ces professionnels sont mis à contribution afin d’assurer un achat sans soucis. Par contre, de plus en plus d’acheteurs, en France et au Québec, se trouvent aux prises avec des problèmes réels à la suite de leur investissement: toiture délabrée, fondations inadéquates, réparations d’usage bâclées. Si les acheteurs s’informent des frais de copropriété qu’ils devront payer, l’information sur l’état général du bâtiment est souvent difficile à obtenir. Me Yves Joli-Cœur a évalué la situation des copropriétés en difficulté des deux côtés de l’Atlantique.

 

Un nouveau mode de vie

Le développement des centres urbains s’est articulé autour des condos, indique Me Joli-Cœur. Cette façon de vivre répond à de nombreuses demandes, dans un monde où le modèle traditionnel de famille ne fonctionne plus et où de plus en plus de gens vivent seuls. Pour les organisations municipales, les condos représentent un meilleur rendement fiscal et contribuent à éviter l’étalement urbain. L’un des constats établis par Me Joli-Cœur est que si la formule de la copropriété est effectivement géniale en ce qui concerne le développement urbain, elle est aussi incomprise par un grand nombre de copropriétaires. En effet, explique-t-il, les gens considèrent souvent les frais de copropriété comme une forme de taxation et adoptent une approche minimaliste envers les frais d’entretien du bâtiment. Ils refuseront même une augmentation des frais de copropriété supérieure à l’indexation des loyers.

 

Genèse d’un phénomène

Deux pour cent du parc immobilier de copropriétés, en France, sont constitués de copropriétés en difficulté, indique Me Joli-Cœur. La détérioration du tissu social, spécifie-t-il, a amorcé le phénomène des copropriétés en difficulté. Les copropriétés sont vendues à rabais à une clientèle qui n’a souvent pas les moyens d’assurer l’entretien du bâtiment et qui ne possède pas la compréhension de l’utilité des frais de copropriété. ll en résulte que les gens ne paient plus ces frais et que les immeubles se détériorent. “Il n’y a plus de services qui soient donnés, les ascenseurs ne fonctionnent plus, les fenêtres sont fracassées sans être remplacées: j’en ai vu de ces immeubles, en France”, témoigne Me Joli-Cœur. Il semblerait même, a-t-il appris, que les émeutes de la banlieue parisienne, en 2005, aient pris origine dans ces copropriétés.

 

Me Joli-Cœur signale l’exemple d’une copropriété en banlieue parisienne “qui s’est retrouvée enclavée par l’absence d’infrastructures routières ainsi que par la faiblesse du réseau de transport en commun. L’abandon de projets a rendu difficile tout développement économique et de l’emploi dans la commune et a entraîné cette copropriété dans un processus de dégradation irréversible. Résultat: les 509 logements de cette copropriété vont être démolis.

 

Et la situation ne se vit pas qu’en France. En plein cœur du vieux quartier de Boston, soulève Me Joli-Cœur, des copropriétés sont maintenant devenues de véritables taudis, pour des raisons semblables.

 

20 ans d’usure

En sommes-nous au même stade, au Québec? Selon Me Joli-Cœur, la réponse est négative, notamment parce que l’étendue de la copropriété est moindre qu’en France, mais certains éléments précurseurs permettent d’entrevoir que la problématique pourrait se pointer d’une façon aussi catastrophique dans la province. Les immeubles les plus préoccupants, selon Me Joli-Cœur, sont ceux qui ont une vingtaine d’années d’existence et qui n’ont pas été entretenus. “Nous sommes témoins de cas où la dégradation est telle que les assureurs limitent la couverture d’assurance de l’immeuble ou, pire encore, se sont retirés du risque et n’assurent plus l’immeuble”, signale Me Joli-Cœur dans un ouvrage qu’il consacre au sujet.

 

L’un des symptômes de ces copropriétés est la mauvaise qualité de construction. En effet, indique Me Joli-Cœur, il n’y a pas, au Québec, de mesures de contrôle obligatoires lorsque les immeubles sont construits, comme une obligation de surveillance du chantier, par exemple. Les normes de sécurité ne sont pas vérifiées.

 

Un autre des symptômes notés par Me Joli-Cœur est la solvabilité des entrepreneurs: au Québec, on ne demande que 20 000$ aux entrepreneurs généraux. Cette somme, ajoute Me Joli-Cœur, s’avère plutôt “symbolique par rapport à l’importance des enjeux économiques entourant la construction d’immeubles de grande importance”.

 

Le rôle de l’État

Me Joli-Cœur trouve préoccupant que l’accent soit mis sur l’aspect curatif de la situation plutôt que sur le côté préventif. Il croit donc qu’il est essentiel d’interpeller l’État sur la nécessité d’agir rapidement. Le gouvernement français a tardé à mettre en place des mesures parce qu’il était difficile de justifier que des deniers publics servent à financer des immeubles privés. Finalement, c’est plus de 100 millions d’euros des fonds publics qui ont été investis pour mettre à niveau les copropriétés en difficulté.

 

Certaines mesures peuvent et doivent être prises. En France, mentionne-t-il, “les assureurs imposent des contrôles ponctuels sur le processus de construction de l’immeuble avant, pendant et après l’édification de l’ouvrage” et il est obligatoire d’avoir un syndic de copropriété. Les actions qui peuvent être prises, note Me Joli-Coeur, sont notamment l’adoption d’une législation encadrant la construction et la gestion des copropriétés et l’éducation du public sur les obligations relatives à l’achat d’une copropriété.

 

Mieux vaut prévenir

Par exemple, l’obligation de créer un fonds de prévoyance, comme prescrit par le Code civil du Québec, bien que visant un objectif louable de faire face aux travaux futurs, est généralement incomprise par les copropriétaires. De plus, le montant (au moins 5% de la participation aux charges communes) s’avère insuffisant, selon Me Joli-Cœur, de sorte que c’est généralement la deuxième ou troisième génération de copropriétaires qui fera les frais de l’inaction des premiers occupants. Il cite comme exemple un immeuble en copropriété ayant fait l’objet d’un reportage à l’automne 2006, à l’émission La Facture.

 

Dans cette situation, l’immeuble, construit au début des années 1980, avait des problèmes d’infiltration d’eau. Les travaux de réparation étaient de l’ordre de huit millions de dollars, alors que le fonds de prévoyance ne contenait que 200 000$. Les frais de condo des copropriétaires ont plus que doublé pour assumer les travaux!

 

Il est donc important de donner des outils aux nouveaux copropriétaires afin qu’ils puissent prendre une décision éclairée lors de leur achat. Après tout, croit Me Joli-Cœur, “il n’y a rien de plus important pour un être humain que le toit ne lui tombe pas sur la tête!”