UN LOCATAIRE D'UN CONDO QUI N'EST PAS À SA PLACE
RÉGIE DU LOGEMENT
Bureau de Montréal
No : 31 110315 050 G
Date : 06 février 2013
Régisseure : Suzie Ducheine, juge administratif
Syndicat Le Royal Condominiums
Partie demanderesse
c.
Tarek Sabban
Locataire - Partie défenderesse
et
Zvi Kohen
Victor Tritton
Locateurs - Partie intéressée
JUGEMENT
[1] Le syndicat demande la résiliation du bail intervenu entre le locataire et les locateurs, l’éviction du locataire, l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel.
[2] Le recours du Syndicat est fondé sur l'article 1079 du Code civil du Québec qui prévoit :
«1079. Le syndicat peut, après avoir avisé le locateur et le locataire, demander la résiliation du bail d'une partie privative lorsque l'inexécution d'une obligation par le locataire cause un préjudice sérieux à un copropriétaire ou à un autre occupant de l'immeuble.»
[3] La preuve révèle que l’immeuble est une copropriété comprenant 32 unités incluant le logement concerné qui est loué par ses copropriétaires au locataire depuis le 1er juillet 2010. Le bail, actuellement en vigueur, est du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013.
[4] Au soutien de sa demande, le syndicat allègue que le locataire n’a pas le comportement d’une personne prudente et diligente et qu’il ne se conduit pas de manière à ne pas troubler la jouissance paisible des autres occupants de l’immeuble. Il contreviendrait ainsi aux dispositions des articles 1855 et 1860 du Code civil du Québec.
[5] Plus particulièrement, le syndicat invoque les motifs suivants pour obtenir la résiliation du bail : «Marijuana odors; Noise; Dog barking; Use of back door».
[6] Le syndicat soumet aussi l'article 1057 du Code civil du Québec qui prévoit :
«1057. Le règlement de l'immeuble est opposable au locataire ou à l'occupant d'une partie privative, dès qu'un exemplaire du règlement ou des modifications qui lui sont apportées lui est remis par le copropriétaire ou, à défaut, par le syndicat.»
[7] L'article 1062 du Code civil du Québec prévoit quant à lui :
«1062. La déclaration de copropriété lie les copropriétaires, leurs ayants cause et les personnes qui l'ont signée et produit ses effets envers eux, à compter de son inscription.»
[8] Finalement, l'article 1063 du Code civil du Québec prévoit l'obligation suivante pour les copropriétaires :
«1063. Chaque copropriétaire dispose de sa fraction; il use et jouit librement de sa partie privative et des parties communes, à la condition de respecter le règlement de l'immeuble et de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble.»
[9] Les paragraphes 2 et 13 de l’article 102 et l’article 114 de la Déclaration de copropriété sont aussi invoqués par la partie demanderesse :
«102 par. 2 : Les copropriétaires, locataires et occupants doivent veiller à ce que la tranquillité de l’immeuble ne soit, à aucun moment, troublée par leur fait, celui des personnes de leur famille, de leurs invités, de leurs clients ou des gens à leur service.»
«102 par. 13 : Aucun animal autre que domestique ne peut être gardé à l'intérieur d'une partie privative (habitation). Tout animal domestique considéré nuisible par le conseil d’administration ne peut être gardé à l’intérieur d’une partie privative (habitation). Ledit animal domestique doit être tenu en laisse lorsqu’il est promené dans les aires communes. Le copropriétaire de cet animal doit ramasser tout dégât causé par son animal et en disposer adéquatement.»
«114 : Aucune substance dangereuse pour la santé ou malodorante ne pourra être transportée dans les parties communes.»
[10] Selon les articles 1079 et 2803 du Code civil du Québec, il appartient au demandeur de démontrer que le locataire contrevient à ses obligations et que sa conduite lui cause un préjudice sérieux qui justifie la résiliation du bail.
[11] L'article 1855 du Code civil du Québec prévoit l'obligation générale pour tout locataire, pendant la durée du bail, d'user du bien loué avec prudence et diligence.
[12] L'article 1860 du Code civil du Québec précise que tout locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires, sous peine d'être tenu envers le locateur et les autres locataires de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès aux lieux.
[13] L'article 976 du Code civil du Québec prescrit que les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature des lieux ou les usages locaux.
[14] Ainsi pour conclure que le locataire contrevient à ses obligations et qu'il trouble la jouissance des lieux, l'auteur Pierre-Gabriel Jobin[1] souligne que deux conditions essentielles doivent être rencontrées :
1. Il doit s'agir d'un inconvénient anormal
ou excessif qui présente un caractère de persistance.
2. Le locataire auteur du trouble doit avoir agi de façon illégitime.
[15] En l'instance, il revient au demandeur de démontrer que les bruits et comportements reprochés au locataire sont déraisonnables, excessifs, anormaux et suffisamment répétés, continus et persistants pour justifier la résiliation du bail.
[16] Dans l'affaire O.M.H.M. c. Goudreault[2], le tribunal établit des critères à considérer en matière de troubles de jouissance. Il fut décidé ainsi :
«Pour réussir en la présente cause, le locateur doit établir que le locataire ou une personne dont il est responsable ou à qui il permet l'accès du logement a eu, au cours d'une certaine période, des comportements et des attitudes qui par leurs répétitions et insistances agacent, excèdent ou importunent gravement les autres locataires du même immeuble, troublant ainsi la jouissance normale des lieux à laquelle ils ont droit.»
[17] La prépondérance de preuve est à cet effet, en l'instance. La preuve permet de conclure que le locataire est une source d'ennuis, de tracasseries et de bruits. Il porte atteinte au droit des autres occupants de l’immeuble à la jouissance paisible et normale des lieux à laquelle ils ont droit.
[18] La preuve permet aussi de conclure que le locataire n'a pas le comportement d'une personne prudente, diligente et respectueuse des droits d'autrui.
[19] Il est établi que peu de temps après l'arrivée du locataire dans le logement, les administrateurs reçoivent des plaintes des voisins du locataire ainsi que des rapports des agents de sécurité qui tiennent un registre des noms des visiteurs, l’heure de leur arrivée et de leur départ. Les voisins se plaignent du comportement du locataire et de ses visiteurs, du nombre inhabituellement élevé de ses visiteurs, des odeurs de marijuana, de son chien qui circule librement, sans laisse, dans les lieux communs.
[20] Les membres du conseil d’administration rencontrent le locateur pour lui faire part des plaintes relatives au locataire et trouver une solution, sans résultat. Les troubles persistent.
[21] Deux copropriétaires qui habitent sur le même étage que le locataire témoignent qu'ils ne peuvent plus jouir de leur logement ni de la tranquillité des lieux depuis l'arrivée du locataire dans l'immeuble.
[22] Ils soutiennent être particulièrement perturbés par les jappements du chien du locataire, les odeurs de marijuana qui émanent de son logement, le va-et-vient de ses visiteurs qui entrent par la porte d’à côté, les claquements de cette porte.
[23] Ces bruits et comportements excessifs du locataire et des personnes à qui il donne accès se produisent à toutes heures du jour et de la nuit, les réveillent ou les empêchent de dormir. Ils craignent pour leur sécurité parce que le locataire et ses visiteurs laissent la porte d’à côté ouverte. Le locataire place un objet pour garder la porte ouverte pendant sa promenade avec son chien. Ses visiteurs qui entrent par cette porte ne dénoncent pas leur présence dans l’immeuble au gardien de sécurité.
[24] Ils se disent incommodés par les odeurs de marijuana qui se propagent dans les lieux communs, dans le corridor, l’ascenseur, le garage. Ils sont gênés parce que leurs visiteurs sentent ces odeurs malodorantes. Ils doivent ouvrir les fenêtres de leur logement pour avoir un peu de répit. Les appels à la police et leurs interventions auprès du locataire ne donnent aucun résultat. Le locataire leur répond qu’il a le droit de fumer du cannabis dans son logement.
[25] Le mandataire de la partie demanderesse est copropriétaire d’une unité située au 2e étage de l’immeuble. Il témoigne avoir constaté, plus d’une fois, les odeurs de marijuana qui proviennent du logement du locataire, à la demande de ses voisins et des autres administrateurs.
[26] Il soutient que les deux voisins d’étage ne sont pas les seuls à se plaindre du locataire et de son chien. L’animal, qui n’est pas attaché généralement, a sauté sur un autre occupant de l’immeuble qui s’en est plaint.
[27] Il ajoute qu’il subit aussi un préjudice puisqu’il ne peut plus utiliser la porte d’à côté qui était réservée à l’usage des copropriétaires. Cependant, devant l’insistance du locataire à donner accès à ses visiteurs par cette porte, le conseil d’administration adopte un nouveau règlement, le 30 novembre 2010, qui prévoit que cette porte est une sortie d’urgence. C’est maintenant une sortie de secours et les occupants de l’immeuble ne peuvent l’utiliser qu’en cas d’urgence. Ils ne peuvent plus l’ouvrir de l’extérieur.
[28] En dépit de l’adoption de ce nouveau règlement, le locataire et ses visiteurs continuent d’utiliser cette porte. Les administrateurs ont affiché un rappel de ce règlement en juillet 2012.
[29] Le locateur, prenant fait et cause pour son locataire, admet avoir été avisé des plaintes des voisins du locataire. Mais, il prétend que les copropriétaires sont intolérants. Ils se sont plaints des trois locataires précédents. Il n’a jamais vu de la marijuana chez le locataire. Il n’a jamais senti les odeurs dont se plaignent les voisins du locataire. Cependant, il ne peut affirmer que le locataire ne fait pas usage de marijuana.
[30] Le locateur reconnaît qu’il était avisé de l’adoption du nouveau règlement relatif à l’usage de porte arrière. Il en a fait part au locataire. Il lui a dénoncé le règlement de l’immeuble.
[31] Il soutient que le système de ventilation de l’immeuble n’est pas efficace. Il a installé des filtres dans le logement afin d’améliorer l’évacuation des odeurs.
[32] Le locataire nie les allégations de la partie demanderesse. Il soutient que ses voisins exagèrent. Il ne s’adonne pas à des activités commerciales ni illégales dans son logement. Il a de nombreux amis et une grande famille qui le visitent régulièrement. Ce sont des personnes honnêtes et respectables. Il est jeune et mène une vie sociale active. Il sort souvent et rentre tard. Il promène parfois son chien en rentrant.
[33] Le locataire soutient que son bail lui permet de posséder un animal. Son chien n'est nullement agressif. Il est vieux et malade. Il ne saute pas sur les gens. Il peut les flairer. Il n’est pas en laisse généralement parce qu’il a été maltraité par le passé et n’aime pas la laisse.
[34] Il fait valoir qu’à son arrivée dans l’immeuble, tous les occupants utilisaient la porte d’à côté. Cependant, depuis le mois de juillet 2012, il n’utilise cette porte qu’en cas d’urgence. Il doit parfois porter son chien qui est malade à l’extérieur. Il a aussi avisé ses amis qu’ils ne peuvent plus utiliser cette porte lorsqu’ils le visitent. Il reconnaît, toutefois, que trois ou quatre personnes ont depuis cogné à cette porte pour avoir accès à l’immeuble.
[35] Il admet fumer de la marijuana dans son logement. Il fait valoir, cependant, qu’il a le droit d’utiliser son logement selon son désir et que les odeurs ne se propagent pas à l’extérieur de son logement. Elles ne peuvent pas déranger les voisins. D’ailleurs, il n’a pas fumé du cannabis depuis quelques semaines.
[36] Dans le cas présent, les témoins du demandeur déposent devant le tribunal de façon crédible et convaincante. Par contre, le tribunal relève de nombreuses inconsistances et contradictions dans le témoignage du locataire. Il reconnaît fumer de la marijuana dans les lieux loués. D'un côté, il affirme que les odeurs ne peuvent déranger puisqu’il fume dans son logement. De l'autre, il soutient que le système de ventilation de l’immeuble est déficient et qu’il sent les odeurs de nourriture qui proviennent des autres unités. Il aurait aussi avisé ses amis de ne pas utiliser la porte d’à côté. Toutefois, il admet que depuis le mois de juillet 2012, plusieurs visiteurs ont cogné à cette porte pour avoir accès.
[37] Les photos le contredisent et démontrent que le locataire, son chien et ses amis utilisent cette porte tard dans la soirée, au cours de la nuit et aux petites heures du matin, en dépit des avis verbaux et écrits du syndicat et du dépôt de la présente demande.
[38] La preuve démontre de façon prépondérante que le locataire fait défaut d'exécuter les obligations qui lui sont imposées par le bail, la déclaration de copropriété et les règlements de l’immeuble. Le syndicat a avisé formellement les locateurs et le locataire que ce dernier contrevient à ses obligations. Les locateurs ont l'obligation de respecter la déclaration et le locataire a l'obligation de se conformer au règlement de l'immeuble et à cette déclaration. Le fait que d'autres ne respecteraient pas le règlement ne constitue pas une excuse. Rien ne démontre dans le présent cas que le syndicat agit de mauvaise foi ou qu'il ait renoncé à l'application de la déclaration.
[39] En l’instance, la preuve établit que le locataire et les personnes à qui il permet l’accès au logement troublent la jouissance paisible des lieux. Ces comportements illégaux du locataire affectent la qualité de vie de ses voisins et créent un climat d'insécurité dans l'immeuble. Il en résulte pour les autres occupants de l'immeuble un préjudice sérieux qui justifie la résiliation du bail.
[40] Le préjudice causé à la partie demanderesse ne justifie pas l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 L.R.L.
POUR CES MOTIFS, le tribunal :
[41] RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;
[42] RÉSERVE au syndicat tous ses recours, le cas échéant;
[43] CONDAMNE le locataire à rembourser au syndicat les frais judiciaires de 76 $.
SUZIE DUCHEINE
Présence(s) :
le mandataire de la partie demanderesse
Bruno Bourdelin (Stagiaire en droit), avocat de la partie demanderesse
le locataire
les locateurs
Date de l’audience : 30 janvier 2013
Source: www.jugements.qc.ca