LA CONSERVATION DE L’IMMEUBLE
Me Marie Trudel, avocate et André M. Benoît, conseiller en gestion(1)
Dans le domaine de la copropriété, il arrive fréquemment, au cours de leurs discussions, que des spécialistes, administrateurs, gérants ou autres personnes se réfèrent à la «conservation de l’immeuble». Mais qu’en est-il au juste? Quels sont les éléments de cette obligation?
Précisons que l’ensemble de la copropriété constitue un patrimoine confié à une personne morale qui prend le nom de syndicat. C’est d’abord, dans le cas d’un édifice, des espaces physiques, géométriquement situés et aménagés en locaux. Une valeur relative est attribué à chaque local, c’est la fraction qui correspond à la partie privative, c’est l’appartement (ou même un stationnement ou un espace commercial).
Ces espaces et locaux ainsi matériellement divisés sont rattachés à un numéro de cadastre distinct. L’acte constitutif de la déclaration de copropriété précise certaines règles d’utilisation de ces espaces et locaux. En retour, le titre de propriété accorde au copropriétaire une quote-part du droit de l’ensemble de l’immeuble qui est égale à la valeur relative de sa fraction.
C’est donc le syndicat, qui en tant que titulaire du patrimoine, agit comme «propriétaire» de l’immeuble sans toutefois en détenir le titre.
La mission du syndicat
C’est dans la loi que l’on retrouve très clairement exprimée la mission du syndicat:
Article 1039 C.c.Q.- La collectivité des copropriétaires constitue, dès la publication d’une déclaration de copropriété, une personne morale qui a pour objet la conservation de l’immeuble, l’entretien et l’administration des parties communes, la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble ou à la copropriété, ainsi que toutes les opérations d’intérêt commun. Elle prend le nom de syndicat.
Dans sa mission de base, le syndicat de copropriété a donc pour objet d’assurer, entre autres, la conservation de l’immeuble, c’est-à-dire maintenir l’immeuble le plus près possible de son état original, et de procéder à l’entretien et l’administration des parties communes. Et le législateur y tient. Il a donné au syndicat de copropriété cette grande responsabilité, mais dans sa loi, il lui a aussi fourni tous les outils et les balises nécessaires à l’accomplissement de son mandat.
Le fonds de prévoyance
Si l’expression «entretien et administration des parties communes» semble découler naturellement des pratiques générales en vigueur dans l’administration des immeubles à logements multiples, l’obligation d'établir un fonds de prévoyance en fonction du coût estimatif des réparations majeures et du coût de remplacement des parties communes se projette dans l’avenir et découle de l’obligation de garantir la conservation de l’immeuble.
Pour cibler cette obligation destinée à la conservation de l’immeuble, le législateur précise que ce fonds de prévoyance doit être liquide et disponible à court terme; de plus, il doit être affecté uniquement à ces réparations et remplacements. Et pour insister davantage, la loi ajoute: «Ce fonds est la propriété du syndicat(2)». Aucun copropriétaire ne pourra donc jamais en réclamer sa quote-part.
La responsabilité ultime est donnée au conseil d’administration qui annuellement, et après consultation de l’assemblée(3) des copropriétaires, fixe les sommes à verser au fonds de prévoyance. De plus, pour ajouter à la sécurité du fonds de prévoyance, le législateur a prévu que le jugement qui condamne le syndicat à payer une somme d’argent, ne peut être exécuté sur le fonds de prévoyance, sauf pour une dette née de la réparation(4) de l’immeuble ou du remplacement des parties communes. Le fonds de prévoyance est ainsi protégé par la loi.
Les contributions des copropriétaires
Le législateur est aussi conscient que pour satisfaire aux exigences de sa mission de base, un syndicat de copropriété a besoin de toutes ses liquidités financières et il a prévu une série de mesures permettant à ce dernier de gérer sa liquidité financière. Il n’est donc pas question pour un syndicat d’accumuler des créances, le syndicat n’est pas un banquier. Chacun des copropriétaires contribue aux charges résultant de la copropriété(5) et de l’exploitation de l’immeuble ainsi qu’au fonds de prévoyance.
Le législateur a indiqué qu’il n’acceptait aucune tolérance relativement à la perception des contributions et il a prévu dans sa loi des mesures concrètes. Le copropriétaire qui, depuis plus de trois mois, n’a pas acquitté sa quote-part des charges communes ou sa contribution au fonds de prévoyance, est privé de son droit de vote(6). De plus, le syndicat peut remplacer l’administrateur ou le gérant, qui, étant copropriétaire, néglige de payer(7) sa contribution aux charges communes ou au fonds de prévoyance.
Sujet à certaines conditions auxquelles sont assujettis l’acheteur et le syndicat, la loi prévoit un transfert de la créance du copropriétaire-vendeur à l’acheteur. Celui qui acquiert une fraction de copropriété divise est tenu au paiement de toutes les charges communes dues relativement à cette fraction, au moment de l’acquisition(8). La loi fournit au syndicat un moyen d’enregistrer une hypothèque légale pour garantir le montant dans le cas des créances pour le paiement des charges communes et des contributions au fonds de prévoyance(9).
La couverture d’assurance
Toujours dans l’esprit d’assurer la conservation de l’immeuble, la loi énonce que le syndicat a un intérêt assurable dans tout l’immeuble, y compris les parties privatives. Il doit souscrire des assurances contre les risques usuels, tels le vol et l’incendie, couvrant la totalité de l’immeuble, à l’exclusion des améliorations apportées par un copropriétaire à sa partie. De plus, pour s’assurer que l’immeuble sera reconstruit dans son état original, le législateur a lui-même fixé la limite de la couverture d’assurance: «Le montant de l’assurance(10) souscrite correspond à la valeur à neuf de l’immeuble».
Les recours
Afin de ne rien laisser au hasard, le législateur a aussi prévu que le syndicat peut intenter toute action fondée(11) sur un vice caché, un vice de conception ou de construction de l’immeuble ou un vice de sol.
Le pouvoir d’agir
La loi indique clairement qu’aucun copropriétaire ne peut faire obstacle à l’exécution, même à l’intérieur de sa partie privative, des travaux nécessaires à la conservation de l’immeuble décidés par le syndicat ou des travaux(12) urgents.
Une responsabilité particulière à l’égard des copropriétaires
Le législateur a donné aux syndicats de copropriété les moyens d’exercer leur mission de conservation de l’immeuble, mais il précise une importante imputabilité en énonçant: «Le syndicat est responsable des dommages(13) causés aux copropriétaires par le défaut d’entretien des parties communes.» Le syndicat ne peut donc pas négliger l’entretien de l’immeuble au détriment de ses copropriétaires.
Une question de gestion du capital
En tant que syndicat financier, l’obligation de conservation s’applique aussi au sens large, à la protection du capital(14) que les copropriétaires détiennent ensemble sur la copropriété. La qualité de l’entretien et la conservation de l’immeuble auront donc un impact important lors de la revente des fractions. Lorsqu’un syndicat respecte sa mission première, les copropriétaires sont toujours gagnants.
Nous pouvons donc constater que l’obligation d’assurer la conservation de l’immeuble et les moyens que la loi fournit au syndicat pour mettre en œuvre cette importante obligation, indiquent clairement la volonté du législateur de prévenir toute dégradation importante du parc de copropriétés divises au Québec dans l’intérêt commun de l’ensemble des copropriétaires québécois.
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1- Me Marie Trudel et André M. Benoît sont co-auteurs du «Manuel de gestion d’une copropriété divise au Québec». Ils se sont inspirés de certains passages de leur manuel pour écrire cet article.
2- Article 1071 C.c.Q.
3- Article 1072 C.c.Q.
4- Article 1078 C.c.Q.
5- Article 1064 C.c.Q.
6- Article 1094 C.c.Q.
7- Article 1086 C.c.Q.
8- Article 1069 C.c.Q.
9- Article 2724 C.c.Q.
10- Article 1073 C.c.Q.
11- Article 1081 C.c.Q.
12- Article 1066 C.c.Q.
13- Article 1077 C.c.Q.
14- Article 1010 C.c.Q.
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CondoLiaison, volume 5, numéro 1